Allende
Léo Ferré
(1977)
Ne plus écrire. Enfin attendre le signal,
Celui qui sonnera, doublé de mille octaves
Quand passeront au vert les morales suaves,
Quand le Bien peignera la crinière du Mal.
Quand les bêtes sauront qu'on les met dans des plats,
Quand les femmes mettront leur sang à la fenêtre
Et, hissant leur calice à hauteur de leur maître,
Quand elles diront "Bois en mémoire de moi".
Quand les oiseaux septembre iront chasser les cons,
Quand les mecs cravatés respireront quand même
Et qu'il se chantera dedans les hachélèmes
La messe du granit sur un autel béton.
Quand les voteurs votant se mettront tous d'accord
Sur une idée sur rien pour que l'horreur se taise,
Même si pour la rime on sort la Marseillaise
Avec un foulard rouge et des gants de chez Dior.
Alors nous irons réveiller
Allende...
Quand il y aura des mots plus forts que les canons,
Ceux qui tonnent déjà dans nos mémoires brèves,
Quand les tyrans tireurs tireront sur nos rêves
Parce que de nos rêves lèvera la moisson.
Quand les tueurs gagés crèveront dans la soie,
Qu'ils soient Président ci ou Général de ça,
Quand les voix socialistes chanteront leur partie
En mesure et partant vers d'autres galaxies.
Quand les amants cassés se casseront vraiment
Vers l'ailleurs d'autre part enfin et puis comment,
Quand la fureur de vivre aura battu son temps,
Quand l'hiver de travers se croira au printemps.
Quand, de ce Capital qu'on prend toujours pour Marx,
On ne parlera plus que pour l'honneur du titre,
Quand le Pape prendra ses évêques à la mitre
En leur disant : "Latin ! Porno ou non, je taxe."
Quand la rumeur du temps cessera pour de bon,
Quand le bleu relatif de la mer pâlira,
Quand le temps relatif aussi s'évadera
De cette équation triste où le tiennent des cons,
Qu'ils soient mathématiques avec Nobel ou non
C'est alors c'est alors que nous réveillerons
Allende...