Comme un moineau

Paroles de M. Hély
Musique de J. Lenoir
1925

C'est près d'un' gouttière à matous,
Dans un' mansarde de n'importe où,
A Montparnasse,
Que j'suis v'nue au mond' sur les toits
Et que j'ai, pour la premièr' fois,
Ouvert les chasses.
Mes pèr' et mèr', déchards comm' tout,
Qui de plus n'aimaient pas beaucoup
Sucer d'la glace,
A l'heur' des r'pas dans notr' garno,
M'laissaient souvent sans un pélo,
Le bec ouvert,
Comme un moineau !

A l'âge où tous les autr's marmots,
A l'écol', vont s'meubler l'cerveau
De bonn' grammaire
Avec un tas d'mauvais loupiots
Dans les coins on allait jouer au
Pèr' et à la mère,
Bien sûr ces p'tits jeux innocents
Ne dév'lopp'nt pas précisément
Les bonn's manières,
A quinze ans, droit' sur mes ergots,
J'allumais tous les gigolos,
L'oeil effronté
Comme un moineau !

L'premier qu'a voulu ma vertu,
Pour me posséder, n'a pas eu
A fair' de siège.
Il n'a eu qu'à m'ouvrir les bras
Et mon amour est tombé là,
Comm' dans un piège.
Si j'avais l'esprit perverti,
Mon coeur, au contraire, était lui
Pur comm' la neige.
Nous éveillant sous les bécots,
Nous allions à tous les échos
Chanter l'amour,
Comm' deux moineaux !

Il me plaqua, a-t-il eu tort ?
Je me suis consolée d'un sort
Qui est le nôtre,
Avec un p'tit gars dessalé,
Mais qui, pour ne pas travailler,
M'vendit à d'autres.
On s'accoutume à ne plus voir
La poussière grise du trottoir
Où l'on se vautre.
Chaqu' soir, su' l'pavé parigot,
On cherch' son pain dans le ruisseau,
Le coeur joyeux
Comm' des moineaux !

L'hiver viendra et mon seul bien,
Ce pauvre corps qui, je l'sens bien,
Déjà se lasse,
Tomb'ra sur le pavé brutal
J'pass'rai sur un lit d'hôpital
Un soir d'angoisse.
Pas plus mauvaise que beaucoup,
J'aurais préféré, malgré tout,
Au lieu d'une poisse,
Un homm' qui m'eût aimée d'amour
Pour, avec lui, finir mes jours
Dans un nid chaud,
Comme un moineau !