Les corons

Au Nord, c'était les corons.
La terre, c'était le charbon.
Le ciel, c'était l'horizon,
Les hommes, des mineurs de fond.

Nos fenêtres donnaient sur des f'nêtres semblables
Et la pluie mouillait mon cartable
Mais mon père en rentrant avait les yeux si bleus
Que je croyais voir le ciel bleu.
J'apprenais mes leçons la joue contre son bras.
Je crois qu'il était fier de moi.
Il était généreux comme ceux du pays
Et je lui dois ce que je suis.

Au Nord, c'était les corons.
La terre, c'était le charbon.
Le ciel, c'était l'horizon,
Les hommes, des mineurs de fond.

Et c'était mon enfance et elle était heureuse
Dans la buée des lessiveuses
Et j'avais les terrils à défaut de montagne.
D'en haut je voyais la campagne.
Mon père était gueule noire comme l'étaient ses parents.
Ma mère avait des cheveux blancs.
Ils étaient de la fosse comme on est d'un pays.
Grâce à eux je sais qui je suis.

Au Nord, c'était les corons.
La terre, c'était le charbon.
Le ciel, c'était l'horizon,
Les hommes, des mineurs de fond.

Y'avait à la mairie, le jour de la kermesse,
Une photo de Jean Jaurès
Et chaque verre de vin était un diamant rose
Posé sur fond de silicose.
Ils parlaient de trente six et des coups de grisou,
Des accidents du fond du trou.
Ils aimaient leur métier comme on aime un pays.
C'est avec eux que j'ai compris.

Au Nord, c'était les corons.
La terre, c'était le charbon.
Le ciel, c'était l'horizon,
Les hommes, des mineurs de fond.