La fabrique
Mon grand-père était un marin.
Il a dû mourir sur une île.
Mon père avait une ferme,
Et moi je suis sa seule fille.
Je me suis enfuie avec ce voyou
D'un village des alentours.
Aujourd'hui, il s'étouffe dans son alcool
Et me laisse seule avec nos trois gosses à nourrir.
A la fabrique c'est pas facile.
C'est pas non plus très dur,
Mais ce sont ces heures qui défilent
Et puis cette horloge sur le mur.
Le premier rêve qui passe
M'aide à tenir jusqu'à midi
Où j'ai quelques minutes d'espace
Pour prendre un sandwich, boire un café et m'asseoir.
Autrement c'est moi et la machine
Jusqu'à c'que la sirène le décide,
Jusqu'au bout de l'après-midi,
Jusqu'au bout de ma vie.
Malgré moi mon coeur s'en retourne
Vers cette maison dans les terres
Où passe tant d'années d'amour
A danser sur les bras de mon père.
Ces histoires de marins perdus,
Ces orages sur le lac Erié,
Ses navires à jamais disparus,
Avec leurs voiles grandes comme des morceaux de ciel.
Oui mais c'est ma vie qui a été gâchée
Et c'est moi qui ai eu tort
De laisser cette fabrique
Pour rien, utiliser mon corps.
Quand je vais rentrer chez moi ce soir,
Quand je vais regarder mes mains,
Je vais me dire qu'au moins une fois
J'aurais aimé avoir la chance d'aller plus loin.
Mais je vais travailler ici
Et oublier tout ce que je souhaite,
Peut-etre ne jamais rencontrer l'homme
Dont le nom est sur l'étiquette.
Ce sera moi et la machine
Jusqu'a c'que la sirène le décide
Jusqu'au bout de l'après-midi
Jusqu'au bout de ma vie.