Marienbad
Sur le grand bassin du château de l'Idole,
Un grand cygne noir portant rubis au col.
Il dessinait sur l'eau de folles arabesques.
Les gargouilles pleuraient de leurs rires grotesques.
Un Apollon s'honore de porphyre et d'ébène
Datant de Pygmalion assis au pied d'un chêne.
Je me souviens de vous et de vos yeux de jade,
Là-bas à Marienbad, là-bas à Marienbad.
Mais où donc êtes-vous ? Où sont vos yeux de jade ?
Si loin de Marienbad, bien loin de Marienbad.
Je portais en ces temps l'étole d'engoulevents
Qui chantaient au soleil et dansaient dans l'étang.
Vous aviez les allures d'un Dieu de lune Inca,
En ces fièvres, en ces lieux, en ces époques-là,
Et moi pauvre vestale au vent de vos envies,
Au coeur de vos dédales, je n'étais qu'Ophélie.
Je me souviens de vous et du temps de ces eaux pâles,
Là-bas à Marienbad, là-bas à Marienbad.
Mais où donc êtes-vous pour chanter vos aubades ?
Si loin de Marienbad, bien loin de Marienbad.
C'était un grand château au parc lourd et sombre,
Tout propice aux esprits qui habitent les ombres
Et les sorciers, je crois, y battaient leur sabbat.
Quels curieux sacrifices en ces temps-là !
J'étais un peu sauvage, tu me voulais câline,
J'étais un peu sorcière, tu voulais Mélusine.
Je me souviens de toi et de tes soupirs malades,
Là-bas à Marienbad, là-bas à Marienbad.
Mais où donc êtes-vous pour chanter vos aubades ?
Si loin de Marienbad, bien loin de Marienbad.
Mais si vous m'appeliez, un de ces temps prochains,
Pour parler un instant aux croix de nos chemins.
J'ai changé, sachez-le, mais je suis comme avant
Comme me font, me laissent et me défont les temps.
J'ai gardé près de moi l'étole d'engoulevent,
Les grandes, grandes soies noires et l'anneau de diamant.
Je serai à votre heure au grand château de jade,
Au coeur de vos dédales, là-bas à Marienbad.
Nous danserons encore dans ces folles parades,
Là-bas à Marienbad, là-bas à Marienbad.