La marine

Poème de Paul Fort

On les r' trouve en raccourci,
Dans nos p'tits amours d'un jour,
Toutes les joies, tous les soucis
Des amours qui durent toujours.

C'est là l' sort de la marine
Et de toutes nos p'tites chéries.
On accoste, Vite ! un bec
Pour nos baisers, l' corps avec.

Et les joies et les bouderies,
Les fâcheries, les bons retours,
Il y a tout, en raccourci,
Des grands amours dans nos p'tits.

Tout c' qu'on fait dans un seul jour !
Et comme on allonge le temps !
Plus d' trois fois, dans un seul jour,
Content. pas content, content.*

On a ri, on s'est baisés
Sur les neunoeils, les nénés,
Dans les ch'veux à plein bécots,
Pondus comme des oeufs tout chauds...*

Y a dans la chambre une odeur
D'amour tendre et de goudron.
Ça vous met la joie au coeur,
La peine aussi, et c'est bon.

On n'est pas là pour causer...
Mais on pense, même dans l'amour.
On pense que d'main il fera jour,
Et qu' c'est une calamité.

C'est là l' sort de la marine,
Et de toutes nos p'tites chéries.
On s'accoste mais on devine
Qu' ça n' sera pas le paradis.

On aura beau s' dépêcher,
Faire, bon Dieu ! la pige au temps.
Et l' bourrer de tous nos péchés.
Ça n' sera pas ça ; et pourtant,

Toutes les joies, tous les soucis
On les r' trouve en raccourci
Des amours qui durent toujours !
Dans nos p'tits amours d'un jour...

* Variante G.B. : ces deux strophes interverties.